Le 22 janvier, la France et l’Allemagne ont signer le traité d’Aix-la-Chapelle sur la coopération et l'intégration franco-allemandes.
Trois remarques préalables sont à faire :
- la date n’est pas fortuite : c’est la date-anniversaire du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 que le Bundestag avait sciemment torpillé par l’ajout irrégulier d’un préambule réaffirmant l’importance, pour l’Allemagne, d’ «une étroite association entre l’Europe et les États-Unis » ;
- le lieu n’est pas fortuit : Aix-la-Chapelle, c’est la capitale de l’Empire franco-germain de Charlemagne ;
- l’intitulé n’est pas fortuit : c’est, à travers l’intégration, la reprise du projet fédéralisant, mis en échec, pourtant, par le peuple français, lors du rejet massif du projet de « Constitution européenne », le 29 mai 2005.
Or, le président de la République qui a négocié ce traité (Const., art. 52, al. 1er) est aussi celui que sa fonction désigne comme le garant de l’indépendance nationale explicitement (art. 5, al. 2) et donc de la souveraineté nationale implicitement (art. 3, al. 1er).
Et, il a à le faire en veillant au respect de la Constitution (art. 5, al. 1er), ce qui est loin d’être le cas par les six motifs suivants, dans l’ordre du traité d’Aix-la-Chapelle :
1° Selon le préambule de ce traité, est réitérée la volonté d’une Union européenne « souveraine » alors que cette organisation internationale n’est pas un État, seul appelé à la souveraineté, et que sur le territoire français, la souveraineté n’est pas autrement que « nationale », exercée par le peuple français auquel elle appartient (Const., art. 3, al. 1er, préc.) ;
2° L’article 4 du traité stipule que la France et l’Allemagne « se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d'agression armée contre leurs territoires », ce qui réplique inutilement l’assistance mutuelle prévue par l’article 5 traité de Washington du 4 avril 1949, mais pour lui donner, ici, un caractère obligatoire qu’elle n’a pas, pour chacune des parties dont la France, dans le cadre de l’OTAN. Créer par le traité d’Aix-la-Chapelle une obligation pour l’État français, qui plus est en matière de défense, c’est, en soi, une atteinte à la souveraineté nationale pour ne rien dire d’une stratégie de dissuasion qui ne peut être que nationale ;
3° L’article 5 du traité prévoit que les deux États « établiront des échanges au sein de leurs représentations permanentes (…), en particulier entre leurs équipes du Conseil de sécurité » des Nations-Unies. Est-ce à dire que la France pourrait être représentée par des politiques ou des diplomates allemands au sein du Conseil de sécurité dont, contrairement à l’Allemagne, elle est membre permanent, avec droit de veto ? Ce serait là une atteinte à la souveraineté nationale ;
4° L’article 14 institue « un comité de coopération transfrontalière comprenant des parties prenantes » et le traité les énoncent, ajoutant à chaque État, « les collectivités territoriales, les parlements et les entités transfrontalières comme les euro-districts et, en cas de nécessité, les eurorégions intéressées ». Est-ce que la future « collectivité européenne d’Alsace » sera une partie à ce traité international qui est passé et ne peut être passé qu’entre deux États souverains dont la France, en méconnaissance du caractère constitutionnellement unitaire de la République française (Const., art. 1er, al. 1er), alors qu’au surplus, l’État admet d’insérer ces collectivités territoriales et autres personnes publiques dans le champ des relations internationales qui sont, partout en France, un monopole de l’État (Cons. const., 12 févr. 2004).
Comment, au surplus, le Parlement français qui est une institution de l’État français, peut-il figurer en tant que tel dans un comité où l’État français est représenté ? C’est, pour le moins, donner au Parlement français une compétence que la Constitution de 1958 ne lui attribue pas ;
5° La revendication du bilinguisme apparaît au détour de l’article 15 du traité, d’ailleurs réduite – et pourquoi – à un objectif dans les territoires frontaliers. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de rattacher, une nouvelle fois, l’Alsace à l’Allemagne ou, même, de germaniser la plaine : il faut savoir raison garder.
Mais, la langue de la République est bien le français, comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’affirmer dans sa décision du 15 juin 1999, et l’exclusivité de la langue française vaut dans la sphère publique (Cons. const., 29 juil. 1994) ;
Quelle garantie, autre que celle de la Constitution, peut être donnée contre le recours à l’allemand dans les services déconcentrés de l’État en Alsace-Moselle, mais aussi dans ceux des administrations territoriales décentralisées : communes, établissements publics de coopération intercommunale ou départements ?
Et, la même question vaut d’être posée pour les services des eurodistricts ou eurorégions, sur le territoire français, ainsi que pour ceux de la prochaine « collectivité européenne d’Alsace », nouvelle tentative de suppression des départements décentralisés du Bas-Rhin et du Rhin, pourtant refusée par référendum local, le 7 avril 2013 ;
6° Selon l’article 24 in extenso du traité d’Aix-la-Chapelle, « un membre du gouvernement d’un des deux États prend part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au conseil des ministres de l’autre État ». Or, le Conseil des ministres français a des attributions constitutionnelles, par exemple pour délibérer un projet de loi (Const., art. 39, al. 2) ou pour autoriser le Premier ministre à engager sa responsabilité sur un texte (art. 49, al. 3).
Il y a donc là une atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.
Dès lors, il importe qu’après sa signature, au plus tôt, et l’autorisation de sa ratification, au plus tard, le Conseil constitutionnel soit saisi, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution de 1958, en vue de vérifier la constitutionnalité du traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019 afin de dire, pour droit, les nombreux obstacles à l’autorisation de sa ratification en l’état.
Cette saisine peut être celle du président de la République, lui-même, ou, à défaut, celle du président du Sénat ou d’au moins soixante parlementaires, députés ou sénateurs.
C’est indispensable car il est grand temps de mettre une question européenne, telle que ce traité d’Aix-la-Chapelle, dans la campagne des élections européennes, celle qui se profile derrière l’écran de fumée du « grand débat national ».
Encore faut-il que la réponse soit audible, le 26 mai prochain.
En tout cas, ce n’est que sur une base juridiquement solide et politiquement légitime que la construction européenne pourra se poursuivre et même reprendre, certainement pas contre la souveraineté intangible des États et sans l’accord exprès des peuples, sinon à ses risques et périls.
Cela vaut pour la coopération franco-allemande, à présent, comme pour l’Union européenne, bientôt.
Olivier GOHIN Professeur à la Faculté de droit de Paris II-Panthéon-Assas